Fractures occultes - Généralités
Le terme de fracture occulte désigne des fractures radiologiquement inapparentes ou avec des anomalies radiologiques discrètes qui ne sont pas détectées lors de l'interprétation initiale.
Ce terme regroupe les fractures traumatiques vraies, les fractures de fatigue et les fractures par insuffisance osseuse.
On peut en rapprocher les contusions osseuses, les fractures sous-chondrales et les fractures ostéochondrales.
Ces fractures occultes sont fréquentes et de mécanismes variés. Elles se localisent principalement aux extrémités, au rachis et au thorax.
Les fractures traumatiques occultes sont liées à un traumatisme unique, souvent responsable d'une impaction des pièces osseuses ou d'une avulsion d'une insertion ligamentaire ou tendineuse.
Les fractures par insuffisance osseuse ne se distinguent que par la faible intensité du traumatisme causal et la fragilité sous-jacente de l'os lésé.
Un remodelage osseux focalisé secondaire à un stress répété, lié à une période d'activité physique inhabituelle chez un patient sportif, peut être responsable d'une fracture de fatigue.
Le diagnostic précoce des fractures occultes est important en raison de leur fréquence, de l'impotence fonctionnelle douloureuse dont elles sont responsables et des éventuelles séquelles traumatiques qu'elles peuvent provoquer.
Lors de l'exploration des pathologies traumatiques ou microtraumatiques, la sensibilité des clichés radiographiques conventionnels est médiocre. La répétition à distance des clichés n'améliore que peu leur sensibilité de détection et retarde le diagnostic.
Malgré une exploration radiographique normale, la persistance d'une symptomatologie douloureuse conduit habituellement à proposer des explorations morphologiques complémentaires à la recherche de lésions osseuses occultes. La tomodensitométrie et l'IRM sont les deux examens les plus utilisés dans ce contexte clinique. L'échographie est utilisée pour rechercher des lésions tendineuses ou ligamentaires et des arrachements osseux, mais il s'agit d'un examen opérateur dépendant.
En tomodensitométrie, une fracture occulte se présente sous la forme d'une étroite ligne claire ou d'une hyperdensité linéaire dans l'os trabéculaire, d'une rupture de la continuité de la corticale, d'un discret décalage de la corticale ou parfois d'une dislocation des fragments osseux.
L'IRM est l'examen de référence dans le diagnostic des lésions microtraumatiques. Elle met en évidence une zone linéaire d'hyposignal T1 trabéculaire et/ou cortical, qui reste en hyposignal en T2. Cette zone représente une fracture intra-osseuse, corticale ou sous-chondrale. Elle est entourée par une large plage mal limitée d'hyposignal moins marqué en T1 qui devient hyperintense en T2, en rapport avec un œdème et/ou une hyperhémie. Cette zone périphérique se renforce après injection de gadolinium.
L'IRM a permis d'introduire le terme de contusion osseuse qui regroupe des lésions osseuses occultes d'origine traumatique, touchant uniquement l'os trabéculaire, à type d'hémorragies, d'infarctus ou d'œdème.
La scintigraphie osseuse n'a habituellement pas sa place dans le bilan traumatologique précoce et n'intervient le plus souvent que secondairement. Elle est réservée, dans la littérature traumatologique et orthopédique récente, au diagnostic des algodystrophies et éventuellement à l'exclusion de lésions osseuses chez les patients qui restent symptomatiques malgré une exploration morphologique négative.
Cependant, l'introduction récente de l'imagerie hybride TEMP/TDM corrige une grande partie des défauts attribués à l'examen scintigraphique. Son association à la scintigraphie dynamique replace la scintigraphie osseuse dans la stratégie diagnostique des lésions occultes, au même titre que la tomodensitométrie et l'IRM.
Elle révèle de grandes qualités dans l'exploration de ce type de lésion, ce qui permet son utilisation soit en première intention chaque fois qu'il existe un doute sur la réalité d'une pathologie osseuse ou même sur le type de pathologie osseuse, soit en deuxième intention, lorsque les explorations morphologiques sont négatives ou litigieuses chez un patient qui reste symptomatique. On peut également la prescrire en première intention lorsque les délais de l'IRM paraissent trop longs. Par contre, l'IRM est l'examen à prescrire en première intention chaque fois que l'on soupçonne des lésions mixtes osseuses et extra osseuses.
Sur le plan technique, la scintigraphie osseuse doit être réalisée de façon rigoureuse. L'acquisition dynamique est systématiquement utilisée sur les lésions périphériques, avec des images vasculaires (non obligatoires), des images tissulaires, puis des images tardives au temps osseux centrées sur les zones pathologiques, suivies d'une acquisition corps entier. Les fractures axiales ne sont étudiées que par la scintigraphie corps entier, parfois complétée par des clichés centrés. L'imagerie hybride TEMP/TDM est réalisée en complément dans le même temps.
La scintigraphie osseuse a une très bonne sensibilité dans le diagnostic des fractures occultes. Elle permet en effet de les visualiser de façon précoce (quelques heures), avec une sensibilité proche de 100%. De nombreux auteurs considèrent même qu'une absence d'hyperfixation élimine une fracture récente.
La sensibilité de l'examen scintigraphique est meilleure que celle de la tomodensitométrie qui ne permet souvent pas de détecter les lésions les plus limitées.
Certains faux négatifs de la scintigraphie osseuse pourraient être liés au caractère trop précoce de l'examen, avant que la réaction ostéoblastique secondaire au traumatisme ne soit suffisante pour être détectée. Une hyperfixation du foyer de fracture apparaît dans les 24 heures chez 95% des patients de moins de 65 ans. Cependant, trois à dix jours sont parfois nécessaires chez les patients les plus âgés, surtout s'ils sont alités. Un examen scintigraphique précoce négatif ne doit donc pas faire éliminer formellement une fracture occulte.
L'IRM a une sensibilité équivalente voire un peu supérieure. Elle permettrait en particulier un diagnostic plus précoce. Elle est cependant moins performante que la tomodensitométrie et la scintigraphie pour le diagnostic des fractures purement corticales. Par contre, elle est supérieure à la tomodensitométrie et la scintigraphie pour le diagnostic des lésions uniquement trabéculaires. La tomodensitométrie et l'IRM ont par ailleurs l'intérêt d'analyser les tissus mous péri-osseux à la recherche de lésions associées (déchirures ligamentaires, lésions tendineuses).
Les images scintigraphiques planaires ont en général une faible résolution spatiale qui empêche souvent de rapporter l'information fonctionnelle à une structure anatomique précise, même en réalisant des incidences multiples. Il a été montré que la fusion des images scintigraphiques et radiographiques planaires améliorait le repérage osseux des foyers d'hyperfixation. Cette technique n'a jamais vraiment été utilisée en routine. L'imagerie hybride TEMP/TDM donne à la scintigraphie osseuse la résolution spatiale qui lui manquait. Elle permet une excellente localisation anatomique des foyers d'hyperfixation scintigraphiques.
Malgré la publication de valeurs de spécificité honorables en pathologie traumatique et microtraumatique, le reproche principal fait à la scintigraphie osseuse planaire est son manque de spécificité qui ne lui permet pas de différencier les différentes pathologies osseuses entre elles.
L'IRM a classiquement une bonne spécificité dans le diagnostic des fractures occultes. Cependant, seule l'individualisation de l'image du trait de fracture est considérée comme spécifique. Par contre, un œdème intra-spongieux est une image peu spécifique, qui peut être rencontrée dans de multiples pathologies comme les infections, les ostéonécroses atraumatiques, les cancers et les contusions osseuses.
La réalisation d'acquisitions hybrides TEMP/TDM en complément de la scintigraphie dynamique améliore la spécificité de l'examen osseux. En effet, elle permet un repérage lésionnel très précis qui oriente le diagnostic étiologique. De plus, elle révèle souvent sur les images tomodensitométriques des modifications structurales en regard des anomalies fonctionnelles qui sont très suggestives, voire typiques des fractures occultes.
Elle peut montrer classiquement plusieurs lésions isolées :
- Une hyperfixation TEMP d'aspect linéaire ou ovalaire, associée à une normodensité TDM correspond à une fracture sans remaniement morphologique détectable, ce qui est classique dans les fractures occultes.
- L'hyperfixation TEMP peut s'associer à une hyperdensité TDM qui correspond le plus souvent au trait de fracture (zone d'impaction osseuse), d'aspect généralement linéaire. Parfois, l'ostéocondensation est plus périphérique, au contact de la corticale et correspond à une réaction périostée et/ou endostée (cal).
- Quelquefois, l'hyperfixation TEMP est associée à une hypodensité TDM d'aspect linéaire, qui correspond à une solution de continuité en regard de la zone fracturaire, essentiellement corticale.
Les lésions sont de siège cortical, intra-spongieux ou cortico-spongieux, parfois perpendiculaire à l'axe de la pièce osseuse traumatisée.
L'analyse minutieuse des trois temps de la scintigraphie dynamique permet la datation des lésions. En effet, l'évolution scintigraphique d'une fracture se décrit en trois phases successives :
- une phase aiguë, qui dure 3 à 4 semaines environ, avec hypervascularisation intense à la phase dynamique, hyperfixation intense au temps tissulaire et hyperfixation diffuse à la phase osseuse autour du foyer de fracture ;
- une phase subaiguë, qui dure 8 à 12 semaines, avec hyperfixation plus modérée à la phase dynamique, hyperfixation tissulaire moins intense et plus focalisée et hyperfixation intense sur le site fracturaire à la phase osseuse. Le foyer d'hyperfixation intense et localisé prend parfois un aspect linéaire, souvent entouré par une hyperfixation moins intense et plus diffuse sur la ou les pièces osseuses adjacentes ;
- une phase tardive, qui peut se prolonger pendant plusieurs mois après le traumatisme, avec diminution progressive de l'intensité de la fixation aux trois temps de l'examen. On considère habituellement qu'environ 90% des scintigraphies osseuses se normalisent après 2 ans.
La scintigraphie osseuse dynamique peut donc, comme l'IRM, faire la différence entre une lésion traumatique récente et une lésion ancienne, non évolutive. Cette capacité de datation des lésions est très importante chez les patients sportifs ou chez les patients qui chutent fréquemment. Par ailleurs, l'examen corps entier permet de rechercher des lésions associées, parfois à distance.
L'utilisation plus systématique de la scintigraphie osseuse pourrait optimiser la stratégie d'exploration des fractures occultes. Son association à la TEMP/TDM lui donne une grande sensibilité, une bonne spécificité, une localisation spatiale précise et une capacité de datation des lésions, ce qui permet très souvent le diagnostic étiologique. Par ailleurs, l'examen est en général obtenu dans des délais brefs.
Ces qualités nous paraissent suffisantes pour que cet examen soit utilisé en première intention dans ce créneau diagnostique qui représente dans notre expérience une indication très fréquente de la scintigraphie osseuse.
Sur le plan pratique, la scintigraphie dynamique pourrait servir au dépistage des lésions. La TEMP/TDM pourrait être réalisée dans le même temps lorsque des anomalies scintigraphiques sont découvertes. La TDM ou l'IRM pourraient être utilisées de façon ciblée, lorsque des lésions extra-osseuses associées sont cliniquement suspectées, ou lorsque les lésions sont mal définies par l'exploration scintigraphique ou non décelées.
Cette stratégie a, nous semble-t-il, l'avantage d'augmenter le nombre de lésions dépistées, de les détecter précocement et d'optimiser l'utilisation des examens complémentaires en les repositionnant dans le rôle dans lequel ils sont les plus efficaces.
Bibliographie :
- Ahn JM, El-Khoury GY
Occult fractures of extremities
Radiol Clin North Am 2007;45:561-579
- Beeres FJP, Hogervorst M, Rhemrev SJ, Le Cessie S, Arndt JW, Stokkel MPM, Bartlema KA, Hamming JF
Reliability of bone scintigraphy for suspected scaphoid fractures
Clin Nucl Med 2007;32:835-838
- Beeres FJP, Hogervorst M, Rhemrev SJ, Den Hollander P, Jukema GN
A prospective comparison for suspected scaphoid fractures: Bone scintigraphy versus clinical outcome
Injury 2007;38:769-774
- Blum A
Chapitre VI : Imagerie de la cheville et du pied du sportif
Tavernier T, Bonnin M
Imagerie en traumatologie du sport
Masson, Paris 2002 ;77-111
- Bourdon A, Granier P, Mourad M
Diagnostic d'une fracture occulte isolée de la marge postérieure du tibia par la TEMP-TDM
Médecin Nucléaire 2008;32:614-619
- Clark TW, Janzen DL, Ho K, Grunfeld A, Connell DG
Detection of radiographically occult ankle fractures following acute trauma: Positive predictive value of an ankle effusion
Am J Roentgenol 1995;164:1185-1189
- Deutsch SD, Gandsman EJ
The use of bone scanning for the diagnosis and management of musculoskeletal trauma
Surg Clin North Am 1983;63:567-585
- Elgazzar AH
Chapter 4: Diagnosis of traumatic disorders
Orthopedic Nuclear Medicine
Springer-Verlag Berlin Heidelberg 2004,103-128
- Even-Sapir E, Flusser G, Lerman H, Lievshitz G, Metser U
SPECT/multislice low-dose CT: A clinically relevant constituent in the imaging algorithm of nononcologic patients referred for bone scintigraphy
J Nucl Med 2007;48:319-324
- Haapamaki VV, Kiuru MJ, Koskinen SK
Ankle and foot injuries: Analysis of MDCT findings
Am J Roentgenol 2004;183:615-622
- Horger M, Bares R
The role of single-photon emission computed tomography/computed tomography in benign and malignant bone disease
Semin Nucl Med 2006;36:286-294
- Lepage D, Obert L, Garbuio P, Tropet Y, Paratte B, Runge M, Verdenet J, Cardot JC
Apport de la radioscintigraphie quantitative dans les traumatismes du poignet avec radiographies initiales normales - Etude prospective de 154 cas
Rev Chir Orthop 2004;90:542-549
- Matin P
Bone scintigraphy in the diagnosis and management of traumatic injury
Semin Nucl Med 1983;13:104-119
- McDougall IR, Rieser RP
Scintigraphic techniques in musculoskeletal trauma
Radiol Clin North Am 1989;27:1003-1011
- Pasquier J, Brenot-Rossi I, Basse-Cathalinat B, Coste J, Sebahoun S, Sauvan R
Scintigraphie osseuse en pathologie sportive et dans les lésions microtraumatiques du sujet déminéralisé
Bulletin de l'ACOMEN 1992;2:121-139
- Paycha F, Richard B
Exploration scintigraphique du squelette
Encycl Méd Chir (Elsevier SAS, Paris) Radiodiagnostic - Squelette normal, 30-480-A-10,2001,37p
- Memarsadeghi M, Breitenseher MJ, Schaefer-Prokop C, Weber M, Aldrian S, Gäbler C, Prokop M
Occult scaphoid fractures: Comparison of multidetector CT and MR Imaging - Initial experience
Radiology 2006;240:169-176
- Sanders TG, Medynski MA, Feller JF, Lawhorn KW
Bone contusion patterns of the knee at MR Imaging: Footprint of the mechanism of injury
Radiographics 2000;20:S135-S151
Tous droits réservés
Copyright & copy; 1998, Dr Ph Granier
Date de création : 02/10/11
Date de mise à jour :
|