Ostéodystrophie rénale
1°) Généralités2°) Lésions osseuses au cours de l'insuffisance rénale chronique3°) Clinique4°) Biologie5°) Explorations radiologiques6°) Scintigraphie osseuse7°) Bibliographie
Le terme d'ostéodystrophie rénale ne devrait être utilisé que pour décrire l'ensemble des altérations de l'histologie osseuse des patients insuffisants rénaux chroniques. Dans ce propos, par soucis de simplification, nous utiliserons le terme classique d'ostéodystrophie rénale pour désigner l'ensemble des manifestations osseuses secondaires à l'insuffisance rénale. Chez les patients présentant une insuffisance rénale chronique, on individualise trois types d'ostéopathies : - L'ostéopathie à remodelage osseux rapide résulte principalement d'une élévation de la parathormone, responsable d'une stimulation ostéoblastique et ostéoclastique, qui explique l'augmentation intense du remodelage osseux.
- L'ostéopathie à remodelage osseux lent, associée à un taux de parathormone normal ou bas, survient chez certains patients qui ne développent pas d'hyperparathyroïdie secondaire et présentent un faible remodelage osseux. Il s'agit le plus souvent d'une ostéopathie adynamique, parfois d'une ostéomalacie. - L'ostéopathie rénale mixte est une forme transitoire entre les deux types de remodelage osseux et fait coexister une ostéomalacie et une ostéite fibreuse. Le diagnostic de ces différentes formes d'ostéopathies repose sur l'histomorphométrie d'une biopsie osseuse de crête iliaque. Il peut être approché par l'analyse des concentrations sériques de parathormone.
a) Anomalies du remodelage osseux :1) L'ostéopathie à remodelage osseux rapide :L'ostéopathie à remodelage osseux rapide résulte principalement d'une élévation de la parathormone.Sa prévalence est de l'ordre de 45 à 80% selon les séries. Lorsque la filtration glomérulaire diminue en-dessous de 60 à 80 mL/mn, il apparaît une hypocalcémie, une hyperphosphorémie, un déficit en 1,25 (OH)2 vitamine D et à un moindre degré une acidose. Ces modifications sont responsables d'une stimulation excessive de toutes les glandes parathyroïdes qui induit une hyperplasie et donc une hyperparathyroïdie secondaire. Par ailleurs, dans l'insuffisance rénale chronique, la durée de vie de la parathormone est allongée, ce qui contribue à la pérennisation de l'hyperparathyroïdie (dégradation de la PTH en grande partie par le rein). La sécrétion parathyroïdienne échappe progressivement à tout contrôle. On parle alors d'hyperparathyroïdie tertiaire.
Sur le plan histologique, on observe une augmentation du nombre et de l'activité des ostéoclastes et il existe une augmentation de la formation osseuse, avec augmentation des surfaces et du volume ostéoïdes et du nombre des ostéoblastes, des surfaces de minéralisation et de la vitesse de minéralisation.
2) L'ostéopathie à remodelage osseux lent :* L'ostéomalacie et le rachitisme :
L'ostéomalacie est définie par une accumulation de tissu ostéoïde, avec augmentation du volume et des surfaces ostéoïdes.
L'ostéomalacie peut avoir plusieurs étiologies :
Le signe le plus spécifique d'ostéomalacie reste la pseudofracture ou strie de Looser-Milkman, qui est relativement rare. * L'ostéopathie adynamique :
L'ostéopathie adynamique (adynamic bone disease) se définit par une diminution du taux de formation osseuse. Il existe une diminution de la formation de la substance ostéoïde et de la minéralisation. Les bordures ostéoïdes sont d'épaisseur normale ou basse.
La suppression du turnover osseux est principalement en rapport avec une hypoparathyroïdie fonctionnelle, développée chez les insuffisants rénaux qui présentent une résistance osseuse à la parathormone et dont les concentrations de parathormone circulante active sont basses ou modérément élevées.
Sur le plan histologique, les surfaces minéralisantes sont effondrées, la vitesse de minéralisation est normale ou basse, sans qu'il existe d'augmentation des surfaces ostéoïdes, ce qui la différencie de l'ostéomalacie.
b) Anomalies de la minéralisation :On observe une réduction de l'ordre de 45% du volume de tissu minéralisé chez les patients présentant soit une hyperparathyroïdie secondaire, soit une ostéomalacie histologique.Cette diminution est liée à l'hyperparathyroïdie secondaire, à un hypogonadisme souvent précoce, à une inflammation chronique, à une corticothérapie ou à un traitement immunosuppresseur (greffés rénaux). La déminéralisation est essentiellement corticale dans l'hyperparathyroïdie secondaire. Elle induit un risque significatif de fracture.
L'ostéodystrophie rénale associe de façon variable de multiples signes.
- Les douleurs osseuses sont parfois diffuses, d'horaire mécanique, aggravées par la station debout. - Les myalgies et la fatigabilité musculaire sont liées à une myopathie proximale.
- Un prurit sévère est fréquent. - On peut observer une tuméfaction de l'extrémité des doigts, secondaire à une acro-ostéolyse qui peut mimer un hippocratisme digital.
- Une calcinose pseudotumorale est parfois responsable de masses peu ou non douloureuses, volontiers de localisation péri-articulaire. - On peut également observer divers symptômes évocateurs de complications plus spécifiques, comme un syndrome du canal carpien lié à une amylose.
- Chez l'enfant, un retard de croissance est au premier plan, associé à des déformations squelettiques qui témoignent d'un rachitisme associé.
Une hyperphosphorémie apparaît dès que le débit de filtration glomérulaire diminue de 20-25%. La calcémie est normale ou abaissée. Le taux de parathormone est souvent élevé. Une hypercalcémie peut survenir en cas d'hyperparathyroïdie secondaire sévère, d'ostéopathie adynamique ou d'intoxication à la vitamine D. L'intensité de l'hypercalcémie est liée au taux de parathormone. Les phosphatases alcalines osseuses sériques sont majorées dans l'hyperparathyroïdie secondaire. Il peut existe une pancytopénie dans les formes sévères d'ostéite fibreuse.
Cependant, dans l'hyperparathyroïdie secondaire, l'atteinte osseuse est souvent plus prononcée que celle de l'hyperparathyroïdie primitive. Les taux de parathormone peuvent atteindre 5 à 10 fois la normale. Il existe un certain nombre de particularités chez l'insuffisant rénal.
a) Anomalies de la résorption osseuse :La résorption osseuse est un élément séméiologique majeur de l'ostéodystrophie rénale.On retrouve des zones de résorption osseuse sous-périostées (phalanges), endostées et sous-chondrales (os longs, articulations axiales).
b) Appositions périostées :On peut retrouver des appositions périostées, de distribution généralement symétrique, qui touchent essentiellement les métatarsiens, les fémurs et le bassin.On les rencontre surtout dans les formes évoluées d'ostéodystrophie rénale. Elles seraient dues à l'hyperparathyroïdie ou à une intoxication aluminique
c) Ostéosclérose :L'ostéosclérose est plus fréquente que dans l'hyperparathyroïdie primitive.On l'observe chez 20% des patients qui présentent une ostéodystrophie rénale. Elle est volontiers multifocale et confère à l'os un aspect moucheté. Elle est classique au squelette axial, où elle se traduit sur les vertèbres par l'association d'une ostéocondensation en bandes sous les plateaux vertébraux et d'une ostéopénie du centre du corps vertébral, donnant un aspect en " maillot de rugby " ou en " sandwich ". L'ostéosclérose peut également toucher le squelette appendiculaire, avec une prédilection pour les métaphyses.
d) Fractures par insuffisance osseuse :L'insuffisance rénale chronique augmente le risque de fractures.Les sites à risque sont principalement les côtes, le poignet, les vertèbres, le bassin et le col du fémur. Ces fractures comportent un risque de morbidité et de mortalité plus élevé. Elles sont favorisées par l'ostéodystrophie rénale (anatomopathologie) et les lésions ostéolytiques focales (tumeurs brunes, amylose, pseudofracture de Looser-Milkman). Elles peuvent également s'observer après transplantation. Initialement incomplètes, elles peuvent se compléter si elles ne sont pas diagnostiquées. Elles consolident dans des délais normaux. Les résorptions osseuses sous-chondrales de l'hyperparathyroïdie favorisent également l'apparition d'impactions trabéculaires sous-chondrales, particulièrement aux membres inférieurs (hanche, genou, cheville).
e) Tumeurs brunes :Les tumeurs brunes étaient classiquement plus rares que dans l'hyperparathyroïdie primitive.Cependant, de nos jours, la fréquence des tumeurs brunes est plus élevée dans l'ostéodystrophie rénale du fait d'un diagnostic et d'un traitement précoce de l'hyperparathyroïdie primitive qui ont rendu très rare ces lésions dans cette dernière pathologie. Sur le plan morphologique, les tumeurs brunes sont le plus souvent des tumeurs ostéolytiques, parfois expansives, cernées d'une ostéosclérose. Elles se localisent principalement aux os de la face, au bassin, aux côtes et aux fémurs. Le traitement de l'insuffisance rénale peut diminuer la taille des tumeurs brunes ou les faire disparaître.
f) Calcifications des tissus mous :1) Calcinose pseudotumorale :La calcinose pseudotumorale se présente sous la forme d'amas calciques, volontiers volumineux, localisés dans les tissus mous, notamment péri-articulaires.Elles se rencontrent surtout aux genoux, aux hanches, aux épaules, aux poignets et aux coudes. Ces amas calciques peuvent également être intrasynoviaux, intra-articulaires et intraligamentaires. La calcinose pseudotumorale peut survenir chez des insuffisants rénaux non traités, mais les lésions sont plus fréquentes et plus volumineuses chez les patients hémodialysés ou transplantés. Il y a quelques années, son étiologie principale était essentiellement l'hyperparathyroïdie. Actuellement, elle est d'origine iatrogène, par abus de chélateurs du phosphore, de carbonate de calcium, de calcitriol, ou liée à une dialyse insuffisante. Elle est parfois en rapport avec des traumatismes locaux. Les masses sont polylobulées, séparées par un tissu fibrovasculaire, contenant un liquide crémeux et jaunâtre, fait essentiellement de cristaux d'hydroxyapatite de calcium. Sur le plan radiologique, les calcifications sont denses, amorphes, de contours polylobulés. En TDM, on objective parfois des septae qui séparent des amas plus ou moins denses, contenant rarement des niveaux, témoignant de leur sédimentation au moins partielle. En IRM, on note des masses calcifiées, bien limitées et comportant de multiples logettes en hyposignal T1. Des érosions osseuses peuvent être objectivées à leur contact notamment lorsqu'elles se résorbent.
2) Calcifications vasculaires :On observe des calcifications de la média des artères de petit et de moyen calibre (médiacalcose ou artériosclérose de Monckeberg).Ces calcifications seraient favorisées par l'hyperphosphorémie et à un moindre degré par l'hypercalcémie. Elles se traduisent par de fines calcifications artérielles, circonférentielles, plus rarement nodulaires, bien visibles aux chevilles, aux pieds et aux mains. Lorsqu'elles sont très étendues, elles peuvent entrainer des nécroses ischémiques cutanées, sous-cutanées ou musculaires.
3) Calcifications viscérales :Elles sont rares et sont observées essentiellement au niveau du cœur, des reins, des poumons et de l'estomac.
g) Amylose à béta2-microglobuline :La valeur de la béta2-microglobuline plasmatique est 40 à 50 fois la normale chez l'insuffisant rénal dialysé. Les dépôts amyloïdes se localisent essentiellement dans la synoviale, l'os, le cartilage et les tendons, plus rarement dans le foie, la rate et la muqueuse rectale. On trouve des dépôts de fibrilles amyloïdes issus de la béta2-microglobuline sanguine chez la plupart des insuffisants rénaux traités par hémodialyse depuis 7 à 10 ans et une amylose clinique après 10 ans d'hémodialyse ou de dialyse péritonéale, chez environ 70 à 80% des patients.
Cliniquement, on peut observer un syndrome du canal carpien, habituellement bilatéral et récidivant après traitement.
h) Arthropathies et spondylarthropathies destructrices des hémodialysés :Elles surviennent rarement avant deux ou trois ans de dialyse.Leur fréquence est en diminution. Elles sont essentiellement secondaires à une amylose, mais elles peuvent être liées également à une hyperparathyroïdie secondaire, des dépôts de fer, d'aluminium ou de microcristaux, ou à une instabilité du rachis. La résorption osseuse intervient probablement en partie dans le développement des arthropathies destructrices.
- Les arthropathies se présentent comme des oligoarthrites des grosses articulations, avec une recrudescence des douleurs la nuit ou lors des périodes d'immobilité prolongée (séances de dialyse).
- Les spondylarthropathies touchent surtout le rachis cervical (70%), notamment inférieur, parfois le rachis lombaire (20%) ou le rachis thoracique (10%), sur un ou plusieurs étages intersomatiques.
i) Autres affections associées :- Les infections musculosquelettiques sont favorisées par les corticoïdes, les immunosuppresseurs, la fistule artérioveineuse et l'hémodialyse.
- Les ostéonécroses sont fréquentes chez l'insuffisant rénal hémodialysé, avec ou sans corticoïdes, et après greffe rénale. - La chondrocalcinose et l'arthropathie à microcristaux de pyrophosphate de calcium seraient moins fréquemment observées que dans l'hyperparathyroïdie primitive. - La goutte n'est pas rare, mais les lésions radiographiques ne sont pas fréquentes.
- L'oxalose est rare.
- Les épiphysiolyses se localisent principalement à l'épiphyse fémorale supérieure et sont volontiers bilatérales.
Ainsi, l'ostéodystrophie rénale se présente parfois sous la forme d'un superscan métabolique qui associe une hyperfixation diffuse des os longs et du squelette axial, une hyperfixation péri-articulaire, une hyperfixation de la voûte crânienne et du maxillaire inférieur, une hyperfixation en chapelet des jonctions chondro-costales et une hyperfixation du sternum (sternum en cravate). Parfois, on objective des foyers d'hyperfixation intense, volontiers symétriques, touchant le gril costal, le bassin, le rachis, les omoplates et les extrémités supérieures des fémurs, en rapport avec des fractures, des pseudofractures ou des impactions trabéculaires sous-chondrales. Les ostéonécroses systémiques de l'ostéodystrophie rénale sont souvent multiples et volontiers symétriques.
Les tumeurs brunes se présentent sous la forme de foyers d'hyperfixation intense, focalisés au niveau des os de la face, du bassin, des côtes, du fémur. Les lésions d'amylose se présentent sous la forme de foyers d'hyperfixation intense, qui correspondent à des lésions ostéolytiques localisées au squelette appendiculaire proximal (cols fémoraux) ou distal (doigts, carpe) et plus rarement au rachis, de distribution volontiers symétrique. On peut objectiver par ailleurs une hyperfixation extra-osseuse diffuse en regard des calcifications métastatiques dans les formes sévères de la maladie, avec hyperfixation diffuse de l'estomac, des poumons, et/ou des reins. Les calcifications vasculaires peuvent fixer le HDP sur la scintigraphie osseuse. La calcinose pseudotumorale se traduit par des foyers d'hyperfixation intense, dont la localisation extra-osseuse et l'aspect morphologique sont bien explorés par l'imagerie TEMP/TDM.
Les arthropathies et les spondylarthropathies sont responsables d'une hyperfixation au temps tissulaire et au temps osseux des articulations atteintes.
Rhumatologie - Connaissances et pratique Collège Français des Enseignants en Rhumatologie Masson, Paris 2002:554-556
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